Chambre d'Ayshan

Yun entra derrière son amie dans la chambre de cette derniere. A peine avait-il passé la porte qu'il était frappé par cette impression étonnante et pourtant habituelle: la chambre était presque vide, mais pourtant il semblait y regner un bordel incroyable. Seule Ayshan pouvait faire cela !

Des plantes poussaient sur le rebord de la fenêtre, qui était ouverte évidemment, sur le bureau trainaient des papiers et des objets ... à l'utilité inconnue de tous, sauf peut-être d'elle. Un peu partout, on pouvait voir des pots où la faune entière du pays aurait pu trouver au moins un représentant. Le lit était vaguement fait, la porte de l'armoire ouverte, le volet aux trois quarts ouverts ...

Le soleil donnait encore sur la chambre, il n'y faisait donc pas sombre, et ils n'allumèrent pas la lumière. Yun resta debout, obesrvant autour de lui, cherchant du regard des objets familiers.

"Eh bah, on voit que c'est toi qui vie ici. Un jour ta chambre sera rangée ... et les poules auront des dents."

Il lui fit un vrai sourire, celui qu'elle attendait sûrement depuis qu'elle l'avait vu.Pour une fois, il était vraiment heureux, et il tenait à ce qu'elle le sache, même s'il savait qu'elel pourrait le lire en lui. Rien que dans son attitude plus décontractée.

"Ca fait du bien d'être dans un environnement familier. Ca fait du bien d'être avec toi."

Il s'assit ensuite sur le lit, testant les "caractéristiques essentielles du matelas": était-il dur ou mou ? rebondissait-il ? adoptait-il la forme du corps ? Autant de question qui nécesitaient une reponse.

Elle entra la première dans la pièce... Que c'était bon de se retrouver chez soi! Enfin, chez soi, c'était une belle métaphore. 15 mêtres carrés à tout casser, une chambre banale au meubles simples; rien à voir avec les squats immenses qu'elle s'était appropriée avec son ami ces deux dernières années. Mais ici, au moins, elle pouvait laisser ses affaires sans avoir peur de se les faire faucher, et cela lui plaisait bien.

Elle avait laissé la fenêtre ouverte pour aéerer la pièce. Son petit bronx habituel tronait du sol au bureau en passant par le lit et la table de nuit, elle s'y sentait bien. "Un désordre propre et organisé" aimait-elle dire. Car si il y avait une chose qu'elle ne supportait pas, c'était bien le manque d'hygiène et ceci, il le savait. Elle ne s'offusqua donc pas de son petit commentaire sur l'état de la chambre.

Le soleil devait être en train de se coucher, mais quelques rais de lumière éclairaient encore la chambre qui serait bientôt dans l'obscurité. Elle déposa son sac sur le bureau, changea de T-shirt et se tourna vers lui pendant qu'il sautait sur le lit pour voir s'il lui plaisait.

-Moi aussi ça me fait du bien d'être avec toi. Et c'est d'autant mieux que nous sommes seuls maintenant.
Elle marqua une courte pause avant d'ajouter :

-J'aime ton sourire...

Elle enleva ses chaussures et grimpa sur le lit.

Yun était en train de tester le lit lorsqu'elle décida de se changer, et, prenant son air le plus salace, il lui dit:

"Toujours aussi bien foutue !"

Ce n'était rien qu'un commentaire, un constat, car il ne cherchait ni à la draguer ni à la choquer. De toute facon, ils s'étaient si souvent changés l'un devant l'autre que cela n'aurait pas servi à grand chose.

"Ton lit est sympa, mais un peu petit. Enfin, la perfection n'est pas de ce monde !"

Et il lui refit un sourire, ces sourires de pur plaisir qui, chez lui, étaient légèrement moins rare que les comètes ... mais de peu. Vu qu'elle l'aimait bien, autant lui en faire profiter ... c'était elle la seule à y avoir droit.

"Moi aussi je l'aime bien. Je suis beau quand je souris. Si j'étais homo, je pense que j'en serais narcissique."

Et, alors qu'elle montait sur le lit, il lui tira la langue, et lança une bourrasque dans sa direction, pour la faire tomber. Dans le meme temps, il claqua la porte, pour que personne en vienne les deranger.

Le lit n'était effectivement pas bien grand, mais il y avait largement de la place pour deux si on se serrait un peu. Il lui refit un de ces sourires dont il avait le secret...

*Ce sourire me tue. Le genre de chose devant laquelle je ne pourrais rien refuser tellement il est craquant. Enfin rien... on s'entend.*

Alors qu'elle montait sur le lit, une rafale de vent la renversa en arrière. Elle s'affala de tout son long, surprise. La porte claqua brusquement, et l'appel d'air referma également la fenêtre. Elle se releva, se frotta le bras gauche. Elle semblait s'être fait mal. Elle leva les yeux vers Yun. Son visage s'était refermé légèrement et elle serrait les dents.

-C'est malin...

D'un coup, elle se jetta sur lui en riant pour l'imobiliser sur le lit, dans l'espoir de pouvoir lui faire subir le suplice des chatouilles, pour se vanger du manque de sentiments du jeune homme quelques instants plus tôt, à la caféteria.

Les chatouilles ... ce terrible supplice, cette immonde torture créée par un esprit dégénéré en quête de l'Ultime Souffrance ... Yun se tortilla dans tous les sens, tentant d'échapper aux doigts vengeurs de son amie, et parvint, presque, à gagner quelques instants de répit, mais il ne put que l'éloigner un instant, presque en larmes tellement il riait. La pression qu'il exerçait sur ses epaules pour l'éloigner de lui cessa, et elle recommença son attaque dévastatrice.

Cependant, Yun, cessant de se défendre, croisa les bras derrière la nuque, la laissant oeuvrer à son aise. Et, aussi surprenant que cela puisse paraitre, resta de mrbre face aux mains balladeuses d'Ayshan. Comment pouvait-il ne pas réagir à ce qui, moins de dix secondes avant, le faisait hurler de rire ? Pourquoi la regardait-il, un sourire aux lèvres, rêveur ? Quelle était cette lueur sardonique dans son regard ?

"Ce n'est pas très efficace on dirait ... t'as rien d'autre ?"

Ce disant, il se redressa, se tenant su un coude, toujours à demi-allongé, et tendit un bras vers elle, en une invité silencieuse. Puis, les yeux pétillants de malice, il ajouta:

"Si tu veux que j'exprime mes sentiments ... c'est pas comme ça que tu arriveras à tes fins ..."

Le rire de Yun... elle l'avait oublié, mais elle venait de se souvenir à quel point il lui avait manqué. Clair, résonnant, il sonnait aux oreilles de la jeune fille comme quelque chose de rassurant. Et puis, il fallait l'avouer, c'était un des seuls points sensibles du garçon, et elle était contente de pouvoir prendre le dessus sur lui de la sorte. Plus il essayait de la repousser en riant, plus elle revenait à la charge. Elle se mit à rire elle aussi, on aurait dit deux gamins qui s'amusaient d'un rien...

Mais elle s'arrêta brusquement. Pourquoi ne réagissait-il plus tout à coup? Sa reflexion acheva Aysh. Elle qui d'habitude ne s'étonner d'un rien se releva doucement, les yeux plus ouverts que d'habitude et un sourcil en l'air.
Puis, voyant le bras que Yun tendait maintenant vers elle, elle se laissa aller auprès de lui en silence. Elle ne souriait pas mais son visage rayonnait d'une joie discrète... Couchée près du garçon, la tête dans le couette et les yeux perdu vers le plafond, elle répondit doucement :

-T'as joué la comedie pendant deux ans pour les chatouilles?

La jeune fille délicatement blottie contre lui, il se laissa aller à un délicieux bien-être. Il regarda, lui aussi, le plafond, le sourire toujours à fleur de lèvres, puis il se rapprocha d'elle, afin que leurs têtes soient côte à côte.

"Jouer la comédie ? Comment aurais-je pu faire ? J'ai juste apris un petit tour assez sympatique !"

Il tira la langue et une légère bourrasque ébourrifa les cheveux d'Aysh, déjà en désordre suite à leur bataille. Puis, sans la toucher, il la souleva, et la fit se tourner vers lui, une légère ride sur le front.

"Allons, ne me fait pas croire que tu n'as pas compris !"

Puis il se tut. Parler n'avait jamais été sa passion, il ne le faisait pas aussi souvent que les autres. Il attendait autre chose, c'était visible. Soudain, la magie cessa, et la jeune fille tomba d'une hauteur de dix centimètres sur lui, dans ses bras, qui se refermèrent doucement, enserrant sa proie dans un étau subtil.

"Comment vas-tu te libérer ?"

Leurs têtes se frôlaient maintenant et un léger coup de vent vint soulever les cheveux de la jeune fille. Elle souffla doucement pour les écarter de son visage, le regard toujours dans le vide en direction du plafond.
Lentement, sans prendre le temps de réaliser ce qui se passait, elle se sentit soulevée à quelques centimètres au dessus du drap blanc, et son corps pivota vers le garçon. Elle l'observa tranquillement, confiante. Un de ses sourcils s'était froncé, faisant apparaître une petite ride au milieu de son front. Elle ne répondit pas à la remarque de Yun. Qu'il ait introduit un filet d'air entre son corps et les mains d'Aysh ou qu'il ait trouvé une méthode pour insensibiliser son corps, finallement, peu importait... ce n'était pas la peine d'en faire tout un débat...

Elle retomba doucement dans les bras du jeune homme qui se resserèrent sur elle.

-Et si je n'avais simplement pas envie de me libérer ?

Un petit sourire était apparut au coin de ses lèvres. Son visage tourné vers le sien, elle paraissait sereine... Comment ne pas l'être? Elle avait retrouvé la seule personne qui pouvait prétendre la connaitre, elle se trouvait dans ses bras, blottie contre son corps, heureuse. Elle approcha son visage et caressa la joue du jeune homme de ses lèvres, sans un bruit... Elle sentait son souffle frôler sa peau, elle ferma les yeux un instant...

"Fais dodo, Aysh' ma p'tite soeur ..."

Voyant la jeune fille fermer les yeux, il s'était mis à chantonner une berceuse, avant de lui planter un gros baiser sur la joue. Il avait vraiment le chic pour casser l'ambiance des moments les plus romantiques ! Ensuite, il ferma les yeux à son tour, essayant d'imaginer la réaction d'Ayshan, un léger sourire flottant sur ses lèvres.

*Dire qu'avant je n'avais pas besoin d'imaginer ... je le savais c'est tout. Ce temps qui nous a séparé ...*

Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, mais après tout, il avait du le faire. C'etait nécessaire. Peut-être le comprendrait-elle. Peut-être l'avait-elle déjà compris. Impossible à dire pour Yun. D'ailleurs, savait-il lui-même pourquoi il était parti ? Il pensait savoir ... espérait savoir.

*Pourquoi ? Pourquoi y penser-encore ? C'est passé.*

Et la jeune fille entre ses bras, blottie contre lui, cette jeune fille qui était sa vie, ou presque, cette jeune fille le lui ferait oublier ... dès qu'elle cesserait de lui faire repenser à cette stupidité commise un petit matin de ... de printemps ? Peut-être. Il ne savait plus. Deux mois s'étaient écoulés, mais pour lui, les soixante derniers jours avaient semblé durer bien plus d'une éternité.
Et son visage refléta fugitivement ses pensées mélancoliques, avant qu'il ne se reprenne. Les yeux toujours fermé, il ne sut si Ayshan l'avait remarqué. Son esprit lui remontrait un film, un film dans lequel des feuilles rouges et brunes tombaient des arbres autour de lui. Et quelqu'un approchait ...

Il serra légèrement plus fort Ayshan, heureux d'être là, avec elle.

La berceuse qui s'échappa des lèvres de Yun à l'instant même où elle ferma les yeux installa un long silence... Elle écoutait les premières notes avec attention, mi vexée, mi amusée. Mais elle le connaissait trop bien pour s'outrer d'un tel comportement et elle laissa simplement sa tête retomber à côté de celle du jeune homme. Avec lui, si l'on voulait quelque chose, mieux valait attendre que cela vienne tout seul. Elle avait compris cela à ses dépends durant les années à vivre à ses côtés, pourtant elle espérait toujours réussir à le surprendre, ou à se surprendre...?

*Egal à toi-même...*

Il déposa un gros baiser sur la joue de cette petite soeur blottie entre ses bras, avant de fermer aussi les yeux. Ainsi couchés ensemble, ils paraissaient ne faire qu'un, et peut-être même leur pensées s'étaient-elles liées pour ne faire qu'un seul et même rêve éphémère... Repensait-il à son absence? Elle n'en savait trop rien, essayant d'effacer cette hypothèse de ses pensées en fronçant les sourcils à plusieurs reprises... Elle ne voulait plus se remémorer ce vide, il était là à présent. Mais qu'elle serait la suite? Depuis son arrivée ici, elle n'avait cessé de chercher un but, une personne capable de lui montrer un chemin à prendre, aussi escarpé serait-il... Elle avait besoin d'avancer, de regarder vers l'avenir, de changer... Cette routine grise ne lui convenait plus, la lassait chaque jour d'avantage, et le temps passé seule n'avait fait qu'accentuer ce besoin surgissant.

*Les feuilles rouges de ces arbres au costume d'automne... son sourire, et moi courant à perdre haleine... Où serais-je aujourd'hui si je n'étais pas tombée ce jour là, si mes pas ne m'avaient pas guidés vers ce parc... Serais-je déjà morte? Ou simplement ailleurs, marchant seule vers une destinée toute autre...?*

L'étreinte du jeune homme se resserra sans prévenir, comme pour la protèger, l'envelopper un peu plus dans cette chaleur qu'elle croyait avoir oublié. Elle se sentait fragile à cet instant, comme à la merci d'une personne qui détenait sa vie entre ses mains. Mais, confiante, elle se laissait aller à ses rêveries, consciente qu'elle avait elle-même offert sa vie au garçon... Un sourire s'installa sur ses lèvres sans qu'elle ne puisse le contenir. Ce que le monde appelait "bonheur", elle pensait le vivre à cet instant...
Glissant ses doigts dans la chevelure noire de Yun, elle ouvrit un instant les paupières pour souffler dans son cou, toujours souriante.

-Je ne crois pas que tu m'ais jamais fait de tisane, par contre les bourasque de vent, on dirait que je m'y connais...

Elle laissa un petit temps avant d'enchainer, comme si elle finissait une phrase banale, sans importance...

-Je ne sais même plus ce que je fou encore là Yun. Tu es revenu et j'ai l'impression qu'au lieu d'être seule à être paumée, je t'entraîne avec moi...

Elle n'avait pas perdu son sourire, mais l'expression de son visage était devenue plus grave. Comptait-elle sur son grand frère pour la guider vers l'avenir? C'était bien utopique, bien irréaliste... mais elle ne pouvait s'empecher de se racrocher à cela, au moins... Attendait-elle qu'il l'entraine à nouveau, comme il l'avait fait en riant dans les ruelles grises de Tokyo? Qu'il lui enseigne l'art de la magie qu'il connaissait mieux que personne? Qu'il vive avec elle cette école, s'inscrive au tournoi avec elle, qu'ils marchent côte à côté comme avant, mais ici? Tout cela ne semblait également être qu'un rêve... du moins à cet instant.

"Bonne idée ca la tisane ... il faut juste de l'eau chaude et du gazon, non ?"

Les yeux toujours fermé, il visualisa dans son esprit le souffle de la jeune fille, cette petite quantité d'air qu'elle avait expiré, et le manipula pour qu'il tourbillonne autour d'eux.

"Ce que tu foutais là ? Tu m'attendais ? Ou alors tu vivais peut-être ?"

Il fit une petite pause, comme s'il réfléchissait ... en réalité, il s'était simplement perdu dans ses pensées, comme souvent.

"Non ... tu était ici tout simplement parce que c'est là que tu avais trouvé ta place, non ? N'y as tu pas passé de merveilleux moments ?"

Il avait l'impression de jouer un role, mais il devait le faire. Sinon il aurait l'impression de la forcer à le suivre, de ne pas lui laisser de choix.

"Tu sais que j'ai toujours été paumé avec toi, et c'est pas aujourd'hui que ca va changer. Mais c'est à toi de choisir."

Il l'embrassa avant de reprendre:

"Ma vie j'en ferai ce que je pourrai, mais la tienne, t'as interet à en faire quelque chose de bien."

*Voilà que je joue le grand frère protecteur qui grogne ...*

"Et si tu me la faisais cette tisane ?"

*De l’eau et du gazon… il ne changera donc jamais !* pensait-elle en souriant…

Les yeux toujours fermés, elle imaginait le visage souriant du garçon couché à ses côtés…

*Il a toujours aimé me charrier sur cet élément, et pourtant c’est lui qui m’a tout enseigné… C’est tout lui ça. Il fait une autocritique implicite en essayant de s’foutre de moi. C’est ce que j’aime chez lui… savoir rire de tout, de soi, des autres, prendre les choses à la légère quand il le faut, voir le bien dans toutes choses…*

Elle se souvenait des premiers temps qu’elle avait passés avec lui. Au début, elle s’était souvent plainte, râlant pour la forme lorsque quelque chose ne lui convenait pas. C’était son caractère, un peu butée, avec des idées fixes et des buts qu’elle ne lâchait pas avant de les avoir atteint. Il l’avait accepté comme elle était, mais sans lui dire clairement les choses, il lui avait appris en silence à relativiser les évènements, à se poser au calme pour prendre du recul sur les choses, à se remettre en question… Il était le grand frère qu’elle n’avait jamais eu, elle, l’ainée d’une famille qu’elle avait trop vite quittée.

Un souffle de vent les entoura soudainement, tournant autour d’eux comme pour les envelopper de douceur. Un souffle aux odeurs de feuilles, de terre, de fleurs, d’écorce. *mon odeur…* Il avait détourné son expiration à son intérêt, en en faisant ce qui l’arrangeait. Elle n’arrivait pas encore à cela. Se servir de l’autre pour exercer sa magie, ce qui demander moins d’énergie pourtant, c’était une chose qu’elle n’avait pas encore acquise. Peut-être avec le temps…

-Je vivais ?

Elle marqua une courte pause, comme pour réfléchir à ce qu’elle allait dire. Il savait lui-même qu’elle n’était pas venue ici par choix, mais fallait-il vraiment retourner le couteau dans la plaie ? Avait-elle vraiment le choix après tout ?

-Oui, je t’attendais. Je suis arrivée ici par défaut, parce que ce matin là je me suis sentie vide, paumée, découragée. Parce que je n’avais nulle part où aller et que la rue sans toi était improbable. Alors, oui, je t’attendais. Et comme tu m’as si bien appris à le faire, j’ai tiré partie de ce que m’offrait le chemin, cueillant à droite et à gauche les enseignements du destin. Ai-je vécu pour autant ? Les moments merveilleux n’ont pas lieu d’être en ce lieu, du moins pas sans toi.

Elle avait parlé d’une traite, sur un ton quelque peu cassant mais que le garçon lui connaissait bien. Elle lui avait pardonné et il le savait, ce qui importait n’était plus tant le temps passé que le futur à venir.
Les lèvres de Yun vinrent se poser un instant sur les siennes sans prévenir, et se retirèrent aussi rapidement qu’elles étaient apparues. La remarque qui s’en suivit serra pour quelques secondes le cœur de la jeune fille.

*Je préfère mille fois être paumée à ses côtés que perdue toute seule… et ça il fait encore semblant de ne pas l’avoir compris. Lui se suffirait sans doute à lui-même, moi j’ai du mal à concevoir l’avenir sans ce frère…*

-Peu m’importe ce qu’on fera, ce qui est important à mes yeux, c’est de le faire à tes côtés. Dès lors, je ferai de ma vie quelque chose de bien.

*Faut que j’arrête les compliments, il va plus se sentir… ou alors que j’alterne avec les critiques… héhé !*

Elle leva la main en l’air comme pour couper la discussion et ordonna à son poignet quelques cercles réguliers, donnant naissance à un petit tourbillon d’un vert argenté à la limite entre le liquide et le gazeux. Elle étendit sa main gauche vers la table de nuit sur laquelle était déposés deux petites tasses qu’elle attrapa par leurs anses. Le liquide vint délicatement les remplir, et elle acheva son geste avec un peu plus de fermeté dans la main, ce qui donna lieu à une pluie de petites noisettes qui vinrent emplirent la soucoupe restée sur la table de chevet.

-Monsieur est servi !
commenta-t-elle en souriant malicieusement !

"Comme l'a dit un jour un vieux singe, le passé, c'est douloureux. N'ne parlons plus. Je suis là, tu es là, on est presque dans la rue !"

Il eclata d'un rire bref et franc, comme s'il avait fait la meilleure plaisanterie du monde, ce qui n'était pourtant pas le cas. En realité, il rigolait toujours en pensant à ces dessins animés qu'il avait vu autrefois, ces instants de joie volées à la rigueur de la rue. Il n'avait jamais eu de parents, aussi loin qu'il s'en rappelait, mais la société qu'il avait connue, cette société égoiste et quelque peu cruelle, où des gamins comme lui se battaient pour survivre, cela l'avait forgé en homme dur. Mais tout colosse à son pied d'argile, et ceux qui le connaissaient vraiment ... non ... et Ash' savait que le sien remontait jusqu'au genoux.

"Une tisane ... ca c'est top !"

Il but une gorgée, se brûla, posa la tasse en grognant, puis regarda Ayshan droit dans les yeux, un sourire malicieux aux lèvres/

"Y a quoi comme gens ici ? Des idiots adipeux ? Des gars qu'ont vécu dans des chateux ? Ou des gens interessants ?"

Cela l'interessait moyennement, mais apres tout, il n'était jamais inutile de connaitre son environnement. Il observa à nouveau la chambre, soufflant au passage une mèche noire lui masquant la vue, puis prit une grne inspiration, captant les plus infimes odeurs: la tisane, Aysh' ... quelques plantes qu'elle adorait mais dont le nom lui sortait de la tête ... il reconnaissait bien là sa tannière.

"A ta santé la miss !", dit-il en reprenant sa tasse et en la levant. "Que le lierre pousse et que oiseaux y cuicuitent !"

-Un vieux singe ou un vieux sage? Elle sourit.

*stop les blagues à deux balles Aysh. Il est là, tu es là, on est presque dans... enfin. Est-ce vraiment important? Est-on capable de se tirer de là pour retourner à notre ancienne vie? Non. Si. Enfin de toutes manières, ça s'rait si simple pour lui de me laisser à nouveau. On arriverait à rien. Les choses changent. On est là maintenant.*

Le rire cinglant de Yun retentit dans la petite pièce. Riait-il à sa propre blague? A celle de son amie? Ni l'un ni l'autre n'était drole... *passons*. Elle saisit à son tour une tasse et l'approcha de ses lèvres, comme pour s'occuper. Le liquide brulant glissa dans sa gorge de manière appaisante. Entre le pouce et l'index, elle saisit une noisette qu'elle se mis à grignotter du bout des dents. Le silence n'était ni pesant ni supperflu, mais semblait necessaire bien qu'elle eut préféré engager n'importe quelle autre conversation. Un grognement soudain du garçon la sorti de ses pensées. Il avait reposé rageusement la tasse, s'étant probablement bruler. Machinalement, les mots s'évadèrent de la bouche de la jeune fille, n'attendant pas de réponse particulière.

-..a va?

Il changea de sujet, et les questions qui s'en suivirent permettèrent à la jeune fille de réfléchir enfin objectivement. Passant la tasse dans la main gauche, elle se gratta adroitement l'arrière de la tête de l'autre main, comme si elle cherchait une réponse bien agencée. Et puis, comme si elle changeait soudain d'avis, elle débala à vitesse grand V :

-Des fils de bourge? Pas vu un seul jusqu'à présent! Ah si! Une nénette qui n'a pas fait long feu, et qui pourtant était sympa. Snob, pimbèche mais sympa. Nan sinon il y a de tout. Des pauvres types qui se prennent pour des super-héros, des débutants qui veulent se perfectionner et de très bons niveaux qui les aident en ce sens. Les profs sont nuls. Je n'ai eu qu'un cours vraiment interessant depuis mon arrivée. Sinon, il y a moyen de faire des rencontres sympas...

Il semblait absorbé par la contemplation de la chambre, par les odeurs avoisinantes, par la tisane, par...

"A ta santé la miss ! Que le lierre pousse et que oiseaux y cuicuitent !"

Elle lui sourit. Qu'aurait-elle pu lui souhaiter à lui? Il semblait s'auto-suffire... finalement ils ne se ressemblaient pas tant que ça.
*Depuis combien de temps n'a-t-on pas...*

-Dis, ça te dirait un petit combat amical un de ces quatres?

*Envie de voir si j'ai fait des progrès...*

Elle attrapa une seconde noisette qu'elle balança vers le jeune homme d'une pichnete habile, en direction de sa bouche. Avec un grand sourire, elle lui lança :

-Reflex !

"De toute facon, des cours interessants, j'en ai jamais vu." Il fit une courte pause, un clin d'oeil et ajouta: "Bon ok, j'ai jamais été en cours ... mais c'est pas une raison !"

*Un combat ? Eheh, ca pourrait être marrant !*

Il but une gorgée, et, alors qu'il baissait la tasse, le thé emplissant encore sa gorge, il la vit lui lancer une noisette. N'ayant pas fini d'avaler, il l'attrapa de l'autre main, déglutit, et la fourra dans sa bouche.

"Bah bravo ! Tu m'cherches ? Hein, Hein !?"

Sa voix était montée dans les aigus, alors qu'il s'amusait à singer les abrutis qu'il avait croisé dans les rues, petites frappes et caids imbéciles, fiers d'eux et de leur importance.

"Tu crois qu't'es qui ? Tu crois qu't'es mon pote ? J'vais t'niquer ta race !"

Il se leva précipitemment puis lança, un sourire aux lèvres:

"Ouais, bonne idée. Ca fait longtemps que j'me suis pas battu."

*Au moins une semaine ... ca en fait un bail !*

Lorsqu'il vivait dans la rue, il ne passait pas trois jours sans une bonne petite baston, meme s'il ne s'agissait que de prouver qu'il était le plus fort, et pas vraiment d'un dechainement de violence.

"Quand tu veux miss, mais on evitera de saccager ta chambre !"

Le remarque du jeune homme la fit gentillement sourire. Sans vraiment savoir pourquoi, elle le trouvait différent, un peu ailleurs, étrange... Elle ne lui fit pas la remarque, cela aurait été inutile. Il devait être fatigué, oui, c'était le plus probable.
Son regard sembla pourtant s'illuminer lorsqu'elle proposa le combat amicale ce qui eut pour effet de rassurer quelque peu la jeune fille. Au moins, c'était une preuve qu'il n'était pas aussi loin d'elle qu'elle avait pu le croire, la simple evocation d'une petite baston le ramenant rapidement à la réalité. Elle le reconnaissait bien là, c'était toujours le même, rien n'avait vraiment changé.

Yun, sa tasse toujours à la main et du thé plein la bouche, attrape sans peine le petit fruit sec qu'elle avait lancé dans sa direction. Décidement, il n'avait pas perdu ses reflexes. Elle sourit en pensant qu'il était un des rares hommes qu'elle connaissait capables de faire trois choses en même temps. La légende veut que les femmes excellent dans cet art, et la légende semble bien réaliste.

*Il fait souvent execption à la règle, mon yun...*

L'imitation surjouée du petit caïd des cités la fit rire d'un rire franc. Le souvenir de ses journées trop longues que les deux amis agrémentaient par quelques jeux de rôle et arts de rue divers empli un instant son esprit. Elle se revoyait, au coin de la rue des harmonies, enroulée dans ce vieux sac de jute qu'elle avait trouvé non loin de là. D'une voix tremblante et terrorisée, elle mimait à merveille là vieille dame qu'un jeune caïd vient embêter, joué par Yun, bien entendu. Une casquette vissée sur le crâne, applatissant ses mèches noires, il avait la même voix, la même intonation qu'aujourd'hui...
Comme pour honorer ce souvenir, elle saisit son dessus de lit dans lequel elle s'enveloppa et hurla d'une voix stridente :

-AU SECOUUUUUUUUUUURS!! Au voleuuuuuuuur !! On m'attaque, on m'insulte, on veut me tuer !!

Les yeux pétillants de bonheur, elle fit mine de s'en aller en courant, ramant à moitié sur le lit. Elle lançait de petits coups ridicules dans le vide à l'aide du vieux sac de toile qui ne l'avait pas quitté.
Yun se leva d'un bond et, redevenu sérieux, un sourire persistant pourtant sur ses lèvres, il approuva l'idée du combat, assurant qu'il avait peur de faire des dégats dans la chambre de la jeune fille.

-Ce n'est pas MA piaule, Yun. Des tas de gens sont passés là avant moi et il en passera encore des dizaines. Alors ne t'inquiète franchement pas pour les meubles!!

Se relevant elle aussi d'un bond, elle balança la couverture au sommet du lit et recula de quelques pas.

-Prêt?

Mais elle n'attendit pas la réponse. Petite offensive gentille car très facilement déviable par un élémentariste du vent, elle envoya une rafale de pollen sur les yeux du jeune homme, histoire de lui brouiller un peu la vue pour mieux lui rentrer dedans...

"Bon, ben si c'est pas ta piaule ..."

Cette phrase sonnait comme une declaration de guerre. En elle on sentait la force de Yun, la violence qu'il contenait au quotidien, et surtout, la confiance qu'il avait en lui-meme. Pourtant il ne bougea pas. Lorsque le nuage de pollen arriva sur lui, il se contenta d'un souffle pour le disperser, mais ne contre-attaqua pas, comme il le faisait généralement. Il hésitait.
Il laissa donc passer l'occasion d'utiliser l'offensive de son amie pour préparer la sienne, chose qu'il ne faisait jamais. Au lieu de ça, il recula, sur la défensive. Que préparait-il ? Pourquoi se battait-il comme il avait toujours "interdit" à Aysh de le faire ? Pourquoi faisait-il le contraire de ce qu'il aimait, a savoir provoquer la moindre occasion de prendre un avantage ?

"Tu viens ? J'm'ennuie moi ! A croire que t'es devenue nulle !"

Railler, parler, perdre du souffle pour rien, encore une chose qu'il ne faisait jamais lorsqu'il se battait. l avait coutume de dire que cela troublait moins celui qui entendait que celui qui parlait, mais là, il faisait exactement le contraire de son style. Avait-il perdu l'habitude de se battre ? Cherchait-il quelque chose ? Ayshan devait prendre cela en compte, car il fallait toujours avoir une longueur d'avance sur son adversaire ...

Elle souriait intérieurement… c’était rare qu’elle voit Yun s’inquiéter, mais il était certain que le fait d’esquinter une chambre d’internat pouvait être plus lourd en conséquences que d’abimer les murs moisis d’un vieux squat… Etrange, cette violence qu’elle lisait tout à coup en lui… Elle le savait déterminé, confiant, mais elle ne l’avait jamais vu semblant avoir besoin d’extérioriser un quelconque mal-être par la force.

*Il ne bouge pas pourtant… il semble attendre un simple geste de ma part, ou bien… Il a dégagé le pollen d’un simple souffle et reste de marbre. Il recule même… Ce n’est pas dans ses habitudes. En temps normal il m’aurait déjà balayé. A quoi est-ce qu’il joue ?*

Laissant de côté ses questions trop nombreuses, elle appliqua à la lettre les conseils de son ami. Il lui avait appris à se battre, certes, il connaissait donc ses atouts et ses points faibles. Pourtant, elle avait appris à s’approprier les attaques, les défenses, à tourner les choses à sa manière, en s’écartant quelque peu du chemin de Yunaka.

Elle ne répondit pas à l’interpellation du jeune homme. Il lui avait toujours dit de à ne pas perdre du temps ou de l’attention dans des mots inutiles, il n’était pas question qu’elle lâche ce précieux conseil à l’instant. Pourquoi le faisait-il donc à présent ? Elle n’en avait aucune idée… Il savait se battre avec elle en retenant sa force au dernier instant, pour bien lui montrer qui était le gagnant. Pourtant, laisser à l’autre toutes ses chances ne lui ressemblait pas. Cherchait-il une manière de la décontenancer ? Il en fallait plus à la jeune fille…

*Continue de parler mon ami, continue donc…*

Elle s’agenouilla en une fraction de seconde, posant une main au sol. Avec vigueur, elle entrouvrit les lèvres et les remua rapidement, psalmodiant quelques mots inaudibles. Des quatre coins de la pièce, des lianes d’un brun sombre jaillirent des murs qui se fissurèrent çà et là, fonçant vers le corps du jeune homme pour l’enlacer, l’immobiliser…

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