Rencontres au clair de lune

La nuit était douce et belle, une légère brise charriait l'agréable senteur que diffusait l'herbe encore humide.
Kichi leva la tête pour admirer la pleine lune qui baignait le paysage de ses rayons séléniens.
Le bruit d'une grille dont la rouille avait décidé de condamner l'ouverture, vint troubler la sérénité du moment.

La nuit était passablement claire, certes, la pleine lune offrait une luminosité plus que suffisante, mais d'épais nuages épars s'ingéniaient à défiler devant l'astre, plongeant momentanément le monde dans les ténèbres.
Leurs lampes torches révélaient alors des ombres insoupçonnées et inquiétantes. Ils s'arrêtèrent devant la grille ouvragée et observèrent la vieille bâtisse en ruine.
Les sombres restes du manoir à demi effondré découpaient leurs silhouettes dans le ciel en un enchevêtrement de poutres et de murs partiellement debout.
Le jardin les séparait de la demeure était en friche et envahi de mauvaises herbes. Les rares arbustes présents semblaient avoir dépéris depuis longtemps et étiraient leurs branches menaçantes.
Seul un majestueux cerisier en fleur surplombant une mare d'eau saumâtre envahie par les algues, dénotait dans le paysage de sa présence rassurante.
Une soudaine rafale vint renforcer la brise, emportant avec elle un tourbillon de pétales roses qui se déposèrent aux pieds des cinq jeunes gens rassemblés devant la grille.

Aiji menait le groupe, c'est lui qui avait eu l'idée de venir ici après qu'Haruko lui ai fait part de la trouvaille de son petit frère Hiro.
La meilleure amie d'Haruko, Sakura et son petit ami Yuji les avaient accompagnés.

Aiji se tenait face à l'imposante grille, un lourd paquet à la main, le sourire au lèvres. D'un ton de conspirateur, il déclara :

"Il parait que le mec qui l'a fait construire a massacré sa famille à coup de katana dans la chambre du haut avant de s'immoler par le feu et d'incendier ainsi la moitié de sa maison.
On dit qu'il avait fait sa fortune en faisant un pacte avec le Diable, et lorsqu'il a refusé d'honorer sa part du contrat, cela provoqua sa ruine et le poussa au suicide.
Son âme damnée hanterait encore les lieux, massacrant tous ceux qui s'y attardent à la nuit tombée..."

Les lunettes d'Hiro glissèrent de quelques centimètres tandis qu'il resserrait son emprise sur le mystérieux tome qu'il avait apporté.
Le jeune homme oscillait entre la fascination et la terreur que lui inspirait l'endroit.
Sa soeur, tout comme lui avait les cheveux raides et d'un noir de jais, mais elle ne se sentait nullement impressionnée.
Sakura, d'un blond décoloré, se contentait de rester pelotonnée avec insouciance dans les bras musclés de Yuji.
Elle partageait avec Haruko une silhouette svelte, mais contrairement à son amie, n'hésitait pas à mettre ses formes en valeur.
Yuji, quant à lui, n'avait d'yeux que pour Sakura, la stature de ce capitaine du club de karaté lui conférait une certaine assurance que n'entachait pas ses cheveux courts en bataille.

"Allons-y !"

Aiji pesa de tout son poids contre la grille mais il lui fallu l'aide de Yuji pour la mettre en branle dans un grincement sinistre.
Le groupe s'avança sur le chemin de gravier vers la porte d'entrée avec la désagréable impression qu'on les observait, sensation accrue à chaque passage d'un nuage devant la Lune.
Le rez-de-chaussée semblait intacte, et la porte... fermée... Aiji relâcha la poignée puis se retourna, la mine grave.
Puis il afficha soudain un sourire franc en se grattant la tempe de la main droite.

"Vous allez rire les gars ! La porte est bloquée..."

Il baissa ensuite le regard et joignis le bout de ses deux index devant lui en signe de contrition. Après un moment il jeta un coup d'oeil timide à ses compagnons.
Yuji l'écarta de la porte un sourire narquois aux lèvres.
Prenant une inspiration profonde, il se présenta de profil à la porte, se mit en équilibre sur sa jambe gauche et tendit sa jambe droite perpendiculairement jusqu'à toucher la poignée de la porte du pied.
Il replia ensuite sa jambe horizontalement, et banda ses muscles de toutes ses forces avant de les relâcher en enchaînant trois violents coups de pieds directs dirigés vers l'antique serrure.
La porte vibra à chaque impact mais ne céda pas.
Repliant la jambe une nouvelle fois, il se dressa sur la pointe du pied avant de plier sa jambe gauche en amorçant une rotation sur sa droite, puis imprimant une impulsion au sol, il s'éleva de quelques décimètres pour finir sa rotation dans un puissant coup de pied assené à la porte.
Cette fois-ci, la porte accusa le coup avec plus de difficultés, s'enfonçant de plusieurs centimètres, l'embrasure de la porte ainsi formée révélait en partie l'intérieur de la maison.

Quelque chose par terre attira le regard d'Aiji. Il ramassa une barre métallique pleine d'une cinquantaine de centimètres.
La soupesant, il releva la tête pour constater qu'elle provenait vraisemblablement de la rambarde du balcon qui surplombait l'entrée.
Il s'adressa à Yuji après lui avoir posé la main sur l'épaule.

"On devrait pouvoir finir le boulot avec ça."
"Ouais t'as raison."

Ils placèrent la barre dans l'interstice que Yuji avait créé, puis tirèrent de toute leur force.
La porte sortit soudain de ses gonds et s'écrasa au sol avec un bruit mat dans un nuage de poussière.
Ils s'avancèrent sur le plancher grinçant en direction du monumental escalier qui leur faisait face.
Yuji lâcha en chemin la barre métallique qui tomba à terre dans un faible tintement.
Tout était sombre à leur étage, seule filtrait une faible lumière par la baie à l'étage, inondant l'escalier d'une clarté irréelle.

Les voyants disparaître dans l'encadrement de ce qui fut la porte d'entrée, Kichi ferma les yeux et plongea dans un sommeil paisible du haut d'une branche du cerisier.
Rebon se retourna sur l'épaule de Kichi, puis se remit en boule en ronronnant.

Balayant de la lumière de leurs torches les pièces qui les encadraient, ils reconnurent un salon et une salle à manger plongés dans le noir.
Ils grimpèrent ensuite avec prudence l'escalier bien qu'aucune marche ne se révèle branlante.
Ils s'engagèrent dans un long couloir à leur droite, ouvrant une première porte, ils découvrirent une petite chambre avec un lit qui sentait le renfermé, comme d'ailleurs le reste de la maison.
Ils continuèrent d'arpenter le couloir tandis qu'à l'arrière du groupe, Sakura resserra brièvement son étreinte sur le bras de Yuji avant de lui adresser un clin d'oeil et un sourire éloquent.
Les deux jeunes gens échangèrent un court baiser avant de rattraper discrètement leur amis.

Au bout du couloir s'étendait une vaste pièce vide d'un seul tenant.
Mis à part un grand trou béant dans le plancher dans un coin de la pièce, elle semblait spacieuse et en bon état, une grande fenêtre sur le côté lui offrait une clarté diffuse.
C'était l'endroit parfait pour la cérémonie, tous en convinrent.
Hiro avança au centre de la pièce pour l'embrasser du regard, puis se retourna vers Aiji et lui demanda :

"Tu as tout ce qu'il faut ?"
"T'inquiète, regarde."

Il déballa le contenu de son paquet tout en parlant.

"Des craies, une grosse bougie noire, des allumettes, des chips, deux bouteilles de whisky, une de saké, deux de vin rouge...
Et le plus important... Le coeur encore chaud d'une vierge !"
"Hein ?!?"
"Hein ?!?"
"Quoi ?!?"
"Mmmh..."
"Ahaha ! Vous verriez vos têtes ! J'déconne, c'est juste un coeur de veau.
Bon Hiro, le temps que tu t'occupes des préparatifs, j'ouvres les bouteilles avec mon canif, ensuite je te le passe pour le 'sacrifice' ! Hehe."

Tandis que les premières gorgées d'alcool épanchèrent leur soif, Hiro se mis à feuilleter l'ouvrage qu'il avait apporté.
Aiji et lui l'avait déniché parmi un étalage de livres rares tenu par un vieil excentrique passablement dérangé, et y avaient découvert la description d'une cérémonie qui pimenterait certainement leurs virées nocturnes.
Il s'agissait d'un manuscrit aux pages jaunies couvertes principalement d'une calligraphie anglaise. L'auteur prétendaient ses notes tirées directement du Necronomicon et citait des passages dans un dialecte inconnu.
Le plus intéressant restait néanmoins la reliure elle même de ces feuillets. En effet, on l'aurait dit d'un cuir étrange et noirâtre, fine et fripée comme la peau d'un vénérable ancien, son contact inspiré un mélange de dégoût non dénué d'un certain respect.
Sur la couverture on sentait trois longues stries barrant l'objet sur toute sa hauteur, là où des plis plus prononcés faisait ressortir ce qui semblait être de profondes entailles.

Hiro conserva le livre à la main, ouvert sur un étrange schéma, qu'il retraçait consciencieusement sur le sol avec une craie.
Le motif représentait un large pentacle circonscrit dans un cercle de runes étranges, chaque branche du pentacle se terminait d'un cercle dans lequel s'inscrivait d'autres séries de runes qui leur étaient propres, au milieu desquelles devait se placer chaque officiant.
Quand chacun fut en place, Hiro relu silencieusement le passage qu'il avait appris par coeur, puis éteignit sa torche et reposa le livre à côté de lui.
Il craqua une allumette, une légère odeur de souffre se fit sentir tandis que la petite flamme dansait au bout de la brindille. Il l'approcha de la mèche de la bougie qui s'embrasa.
La lumière qu'elle procurait ne rendait les marques au sol guère plus lisibles et semblait assombrir la pièce par contraste, projetant leurs ombres dansantes sur les murs.

Chacun resta assis en tailleur à fixer la flamme consumant lentement la mèche de la bougie, et Hiro commença à psalmodier.

Les échos de ce chant guttural résonnèrent aux oreilles de Rebon, qui se redressa sur son séant avant de fixer l'horizon d'un regard vide.
Il ferma les paupières tandis que s'ouvrait sur son front un oeil trilobé de couleur rouge orangé.
Il enfonça ses griffes dans les chairs de Kichi lorsque deux excroissances, pareilles à des ailes de corbeaux, s'extirpèrent de son échine.
La douleur sortit brutalement Kichi de sa torpeur, il sentait les griffes de Rebon racler son sternum et sa clavicule, s'enfonçant toujours plus profondément.

"...répond à notre appel, oh chaos rampant, et submerge le monde des brumes noire de ta présence..."

Avant que Kichi n'ai pu réagir il sentit comme un brouillard noirâtre et malsain gonfler ses veines et remonter son cou par la carotide, puis se déverser dans oeil mutilé.
Ce dernier pulsa d'une lueur rougeâtre avant de s'enflammer subitement, Kichi porta sa main à son visage tant la douleur était vive.
Sous ses doigts, de long pseudopodes d'un noir éclatant se déversèrent de son orbite en feu et commencèrent à recouvrir son visage.
Une voix résonna dans sa tête, sa voix... Des mots, mais pas ses mots...

*Enfin ! Enfin, une passerelle entre les plans s'est ouverte !
Réjouis-toi, pauvre mortel, tu seras mon vaisseau dans la destruction de ce monde pitoyable !*

*NOOOOOOOOOON!!!*

*Ha ! Quelle virulence ! Pourquoi me repousser ? Je sais bien que tu as le meurtre dans le sang, mon jeune ami.
Après tout, je suis bien placé pour le dire, c'est par là que je suis arrivé en toi.*

"...fais sonner ta corne, Shugoran, et danse sur ta musique derrière ton éventail..."

Réalisant que l'être avait raison et qu'il ne pourrait sans doute pas le repousser bien longtemps, le regard de Kichi perdit toute émotion, le feu son oeil droit s'estompa peu à peu ne laissant place qu'à ce qui ressemblait à une fournaise sombre et intérieure dont s'échappaient quelques flammèches qui venait lécher le bord de son orbite.
L'expansion de son masque pris fin au même moment, ne recouvrant que la partie droite de son visage et s'ouvrant autour de sa bouche en un demi-sourire des plus funestes.

*Si tu dois être le capitaine de ce vaisseau, alors j'en serais le pilote.
Je refuse de n'être que le spectateur de mon premier meurtre !*

*Bah ! Si ça peut te faire plaisir... Je ne suis pas pressé, j'ai toute ta vie devant moi.*

*Bien... Commençons par ces jeunes impudents qui se sont moqués de toi par leur rituel ridicule et t'ont infligé à moi...*

"...défais-toi de ton masque jaune, sombre messager, et étends tes ailes sur la nuit, pour chevaucher ton vent noir..."

Rebon glissa sous le capuchon qui couvrait la tête de Kichi et s'arrima solidement sur sa nuque de ses griffes.
Ses ailes grandirent encore pour atteindre une envergure capable de supporter un poids humain.
La douleur entêtante que cela provoqua chez Kichi en était presque enivrante...
Seul brillait la lumière sourde de son oeil droit sous les ténèbres de sa capuche.
Il se dressa sur ses jambes, déploya ses nouvelles ailes et se prépara à prendre son essor.


[Nous vous prions d'excuser cette interruption involontaire de nos programmes, la régie nous signale que le post est trop long pour tenir dans un seul encart, nos services vont tenter de remédier à la situation au plus vite]

[Ah on me fait signe en régie que le signal est revenu, bonne lecture ]


De son oeil droit, il voyait... Il voyait les courants ascendants et les sources de chaleur. Mais rien d'autre, ce fut assez perturbant pendant quelques secondes, mais il s'y fit.
Sautant de la branche, il pris son envol d'un puissant coup d'ailes, rasant la façade et passant devant la fenêtre s'ouvrant sur la pièce de laquelle provenait les derniers échos de la litanie.
Il posa pied sur le plancher d'une pièce éventrée du deuxième étage et explora les environs du regard.
Rebon se décrocha de son dos et se laissa tomber à terre en repliant ses ailes avant d'aller fureter dans les recoins de la pièce, les trois yeux ouverts.

Hiro prononça les dernières syllabes de l'incantation, puis se saisit du coeur placé devant lui et le transperça de sa lame.
Trempant le doigt dans le sang humide, il traça ensuite un signe étrange sur le plancher. Au moment même où il finissait, une ombre passa subitement devant la fenêtre, occultant un instant la clarté de la nuit.
Ils sursautèrent tous de concert, puis éclatèrent de rire devant leur réaction si puérile, et se détendirent enfin en s'attaquant aux vivres qu'ils avaient apportées.
Tandis que la discussion se poursuivait bon train, Sakura et Yuji s'éclipsèrent discrètement en emportant l'une des bouteilles de vin.

Ils se dirigèrent vers la chambre qu'ils avaient repérée plus tôt sans cesser de s'embrasser sur le chemin.
Il enleva sa veste, elle lui retira sa chemise.
Il l'embrassa et passa les mains sous son chemiser pour la caresser.
Elle leva les bras au dessus de sa tête et le laissa lui ôter son haut.
Il défit sa ceinture en déposant un baiser passionné dans son cou, elle fit glisser sa jupe jusqu'au sol.
Il la souleva dans ses bras et la déposa sur le lit, puis couvrit son corps de baisers fiévreux.
Rapprochant ses lèvres des siennes entrouvertes, il s'arrêta brusquement à quelques centimètres de sa bouche offerte et posa un doigt sur ces lèvres qu'il adorait.

"Désolé... Je reviens tout de suite."

Elle soupira et se lova sur le matelas avant de se retourner vers la fenêtre pour observer la nuit en attendant son amant.
Lequel fila dans le couloir l'air pressé et la démarche peu assurée.
Quelques instants plus tard, une ombre s'encadra dans la porte.

*Une créature charmante, il est presque dommage d'en priver le monde de sa beauté...*

*Bah ! La beauté féminine est comme une rose printanière, elle se fane bien vite mais garde ses épines.*

*Je suppose que de ton point de vue, sa présence est par trop éphémère pour que son écourtement soit remarquable.*

*Et je te ferais remarquer que selon le rituel ils me doivent le coeur d'une vierge !*

*Oh, vraiment ? Elle, une vierge ? Dans ce cas nous arrivons juste à temps.*

*Qu'importe ! Elle fera très bien l'affaire, au moins ce n'est pas le coeur d'une bête abattue trois jours avant.*

*C'est un fait."

Il s'approcha silencieusement de la fille allongée sur le lit, quand soudain, alors qu'il arrivait à sa portée, une planche grinça sous son pied.
Elle se retourna vivement sous la surprise.

"C'est toi, Yuji...?!"

Une main à la poigne puissante se plaqua sur sa gorge et resserra son étreinte sur sa trachée, l'empêchant autant de respirer que de crier.
Elle voyait ce bras qui la clouait sur le lit remonter vers un étoffe sombre et informe où brillait un oeil unique, rouge, menaçant, inhumain.
La terreur s'instillait en elle à mesure que les brumes de l'inconscience enveloppaient son cerveau.
Son regard avait quitté l'étrange lueur radiante qui émanait du capuchon pour se fixer sur une menace bien plus réelle qui dépassait de la forme, le bras libre qu'elle apercevait se prolongeait de doigts aux longues griffes.
Avant de basculer dans le coma, elle les sentit plonger dans son abdomen, juste en dessous du diaphragme, et glisser sous sa cage thoracique pour enserrer son coeur qui battait à tout rompre.
Et cet oeil qui continuait de la fixer sans jamais ciller si rouge... si rouge...
Elle éclata en larmes et voulu crier de toute ses forces, mais rien ne sortit... Et ensuite, plus rien.
Kichi relâcha son étreinte et appuya de sa main droite sur l'épaule de la jeune fille pour en extraire délicatement l'organe encore chaud.
Repliant son majeur, il y pratiqua une incision dans laquelle il plongea son index droit, puis traça méticuleusement le même signe qu'avait tracé Hiro, sur le front de Sakura.

Repérant une poutre apparente dans le plafond, il tira le corps pour le mettre en travers du lit, puis déposa son coeur sur l'oreiller.
Avec une précision chirurgicale, il mis à nu ses tripes et y préleva les six ou sept mètres de son intestin grêle.
Il le torsada pour s'assurer de sa solidité, puis y fit un noeud coulant et le lança par dessus la poutre, ensuite fit passer le noeud autour du cou de la jeune fille.
Il souleva le corps à l'aide de la corde improvisé jusqu'à une hauteur satisfaisante, puis noua maladroitement le surplus autour de l'épaule du cadavre pour la maintenir en place.
Il avait l'impression d'un travail bâclé et en fut un peu déçu.
Il se retourna en haussant les épaules et quitta la pièce.

Passant la griffe sur son avant bras droit il y fit une profonde entaille tout en marchant sans bruit jusqu'à la pièce au fond du couloir.
Le sang perla et quelques gouttes s'écrasèrent dans la poussière au sol.
Le reste convergea au centre de la plaie tandis qu'il tendait le bras devant lui, et la lame de sa faux se forma, comme extirpée de la plaie par la gravité, le manche suivit et il s'en saisit avant que la lame ne percute le plancher.
Cette fois-ci il ne pris pas la peine de refermer sa plaie et son sang se mêla à celui de sa précédente victime avant de maculer le sol à chacun de ses pas.

Déjà bien éméchés, les trois amis ne réalisèrent pas la présence d'une ombre inhabituelle derrière Hiro.
Ils aperçurent une petite boulette jaune suivre un arc plongeant vers la flamme de la bougie au milieu d'eux, et y exploser dans un nuage jaunâtre.
La fumée jaune était grumeleuse, elle leur piquait les yeux et leur irritait la gorge.
Haruko toussa pendant ce qui lui sembla une éternité avant de pouvoir rouvrir les yeux.
Elle entendait la toux rauque d'Aiji à sa gauche, mais Hiro ne semblait nullement gêné, la flamme de la bougie dansait par réflexion dans ses verres comme il la fixait intensément.
Troublée elle baissa le regard et vit, horrifiée, ce que la bougie éclairait brillamment; le corps d'Hiro sans vie... et surtout sans tête, qui répandait abondamment son sang sur le sol autour de la bougie.
La main qui tenait encore la tête de son jeune frère la lui envoya sur les genoux.
Paralysée par le choc et la peur, elle baissa lentement la tête, comme dans un rêve.
Lorsqu'elle rencontra le regard vide que lui lançait son frère, elle se mit à hurler et rejeta la tête de son frère au loin avant de se recroqueviller sur elle même en tremblant et ruisselante de larme.

Kichi fit un pas en direction d'Aiji et tendit sa main griffue dans sa direction. Elle s'arrêta à quelques centimètres du jeune homme et se referma sur une bouteille de whisky à moitié vide.
Un bruit de liquide se répandant par terre se fit entendre.
Le visage d'Aiji était en larme, de la morve coulait de son nez et son pantalon puait la pisse.
L'ombre qui les avait attaqués se dressait toujours entre lui et la porte. Il se précipita en direction de la fenêtre, trébucha et se replia sur lui même en essayant vainement de se protéger le visage de ses bras.
Kichi prit une lampé du whisky et s'approcha du garçon tremblant.
Il tenait le goulot entre le pouce et l'auriculaire, et sa faux posée sur son épaule.
Il tendit ensuite le majeur et l'index en direction d'Aiji, puis fit pivoter son poignet d'un demi tour et enfonça ses griffes tendues dans son oeil droit, jusqu'au bout des doigts.
Il les ressortit recouverts d'une sorte de poix enflammée. Les maintenant loin de son visage il pris une nouvelle gorgée de whisky, mais ne l'avala pas.
Au lieu de ça, il plaça ses doigts verticalement entre lui et Aiji, et lui cracha la rasade au visage, qui s'enflamma au contact de ses griffes en feu et forma une effroyable boule de feu qui engouffra le pauvre garçon.
D'un geste de la faux, Kichi coupa la bouteille en deux et vida son contenu sur le corps enflammé pour alimenter le brasier de plus belle.
Il se retourna ensuite vers Haruko.
Dans un éclair de lucidité, Aiji se rappela la mare sous le cerisier. S'il pouvait l'atteindre, peut-être survivrait-il.
Dans un effort de volonté, il rassembla ses forces et s'élança au travers de la fenêtre dans un fracas de bris de verre.

Le bruit fit reprendre ses sens à Haruko, elle tourna la tête vers la fenêtre et vit Kichi s'avancer vers elle.
Avec l'énergie du désespoir, elle se rua dans le couloir et failli trébucher sur Yuji, prostré devant la porte de la chambre, pleurant toutes les larmes de son coeurs et murmurant des propose incompréhensibles.

"Yuji ! Dieu soit loué, tu es vivant ! Vite, il faut fuir d'ici !
Il va nous rattraper...!"

Elle secouait frénétiquement l'épaule de Yuji, jusqu'à ce qu'il tourne lentement son visage ravagé vers elle, il ne semblait pas la voir.
Elle se retourna pour voir si elle avait le temps d'essayer de traîner Yuji avec elle loin de ce lieu maudit.
Mais elle ne vit personne derrière elle dans le couloir, pas même cet oeil rouge et fixe qui brillait insidieusement dans la pièce qu'elle venait de quitter.
Elle n'avait pas pu rêver ça ! Non ! Il Fallait qu'ils partent d'ici au plus vite.

"Yuji ! Debout ! Il faut qu'on sorte d'ici ! Où es Sakura ?"

Pour toute réponse, son regard se reporta sur la chambre.
Haruko y risqua un regard et vit l'horrible spectacle qui lui provoqua immédiatement un haut-le-cœur auquel elle céda en vomissant sur le plancher.
Malgré l'horreur de la scène, elle ne pu s'empêcher de remarquer le signe sur le front de son amie.
Et même s'il était maintenant noyé sous le sang de son frère, elle ne pouvait en douter, c'était bien le même signe.
Essayant de ne pas trop y penser, elle passa le bras de Yuji sur ses épaules et le força a la suivre en direction de l'escalier.
A quelques mètres de la porte, elle buta contre quelque chose qui roula sur quelque centimètres avec un son légèrement métallique.
Yuji aussi la remarqua, c'était la barre qu'ils avaient utilisé pour ouvrir la porte de l'entrée.
Quand elle releva elle découvrit avec stupeur que l'étranger les avaient précédés et les attendaient sur le seuil du manoir, son oeil rouge brillant toujours d'une lueur inaltérée.
Elle lâcha Yuji qui tomba sur les genoux.

Lorsque la jeune fille avait pris la fuite, Kichi ne l'avait pas poursuivit directement car autre chose avait attiré son attention.
La jeune fille était déjà condamnée de toute façon.
Ce qu'il avait aperçu, c'était l'étrange livre du jeune homme qu'il avait décapité en arrivant. Loin d'être abîmé par cette cascade de sang, il semblait au contraire plus vivant que jamais entre les doigts de Kichi.
Les trois stries sur la couverture semblaient pulser d'une énergie malsaine tant elles étaient gorgées de sang frais.
Il essaya d'essuyer le sang de la couverture avant que ne surviennent des dégâts irrémédiables, mais le contact avec le sang lui laissa une curieuse impression.
Il avait l'impression de toucher un genre de latex, ni visqueux, ni coagulé, mais d'apparence lustrée, souple et solide. Il rangea l'ouvrage dans un poche intérieure de sa cape.
Un coup d'oeil au couloir lui apprit que sa proie n'avait pas profité de l'avance qu'il lui avait accordée.
Sur un coup de tête il décida de rejoindre l'entrée en passant par le trou du plancher.
Il resta là en attendant qu'ils l'aperçoivent.

Kichi claqua des doigts, le son strident se réverbéra dans les pièce et sembla résonner une éternité aux oreilles des deux survivants.
Haruko sentit une douleur insoutenable irradier chaque parcelle de son corps, elle tomba à genoux. Yuji la regarda stupéfait d'incompréhension.
Il voulu la soutenir et posa les main sur ses épaules, mais les retira vivement. Quelque chose l'avait piqué.
En effet, de fines épines effilées semblaient se développer de tous les pores de la jeune fille.
Les spores qu'elle avait inhalées avec la fumée jaune avaient envahies son réseau sanguin et croissaient maintenant rapidement sous l'impulsion mentale de Kichi, transperçant ses veines de toute part.
Le geste de Kichi avait été purement théâtrale et il trouva bien sobre la façon dont la jeune fille s'étala par terre dans une marre de sang, telle un cactus sur lequel on aurait vidé un seau de peinture rouge.
Un bruissement d'aile et un léger miaulement le tira de sa rêverie.
Oubliant un Yuji tremblant de rage devant le cadavre de sa dernière amie, il se dirigea vers l'origine du son.

Quand Kichi s'approcha de la mare, il aperçu Rebon qui virevoltait à la poursuite d'un papillon de nuit.
Comme le papillon se posait dans l'herbe, Rebon replia ses ailes et plongea dessus.
Il le laissa s'échapper puis s'apprêta à lui bondir dessus lorsqu'un bruit lui fit tourner la tête.

"Merde !"

Kichi qui s'était approché de son chaton ne vit pas où il posa le pied.
Il venait d'écraser le crâne d'Aiji, fragilisé par la combustion, et son pied traversa la fine couche d'os pour patauger dans une bouillie poisseuse encore tiède.

"Ah putain, c'est dégueulasse ! C'est dans des moment comme ça que je regrette de ne pas porter de chaussures..."

Il s'essuya le pied dans l'herbe humide de son mieux, puis s'assit en tailleur devant un Rebon qui s'installa sur ses genoux.
Lorsqu'il entreprit de lécher le sang qui maculait ses bras, il le laissa faire, souriant comme la langue râpeuse lui chatouillait la peau.
S'abandonnant à cette contemplation, il ne remarqua pas son masque se résorber peu à peu vers son oeil droit, puis celui-ci pulser deux ou trois fois avant de s'éteindre et de reprendre son ancienne apparence, rougeâtre, mais sans vie.