Au commencement n'était que ténèbres et silence

Tout au long de l'année, la grande salle de bal restait plongée dans l'obscurité et seuls s'y répercutaient les lointains échos du silence.
La vie ne s'y épanouissait que durant les quelques jours entourant cette période particulière de l'année tel un éphémère déployant ses ailes.
Les élèves l'attendaient avec impatience, la direction de l'école avec une certaine nervosité, le reste du personnel avec une certaine indifférence...

Lorsque le bal avait été annoncé, la plupart des surveillants s'étaient empressés de prétexter un empêchement ce week-end là, pas question de gâcher leur soirée à faire du baby-sitting avec interdiction de boire et de fumer.
Son absence de vie sociale l'avait desservi et Kichi s'était retrouvé désigné volontaire pour cette tâche, pire, les recommandations de son père adoptif lui avaient valu l'insigne "honneur" d'accueillir les convives dans la grande salle, il lui avait même fait parvenir un costume sur mesure pour l'occasion...
Un costume un peu vieillot d'ailleurs, mais il ne s'en souciait guère, et l'orchestre qui allait jouer en première partie s'annonçait brillant.
Le bal était toujours l'occasion de remercier les généreux donateurs qui subvenait à l'école, il ne fallait pas les décevoir, la restauration des bâtiments coûte cher et avec la particularité de leurs résidents, les dommages collatéraux étaient fréquents.
Il ne fallait pas trop compter sur les frais de scolarité des élèves non plus, même si les riches familles avait plus facilement vent de l'existence de cette école, la situation financière des élèves importait peu pour leur inscription.

On avait autorisé les membres du club de musique à jouer sur scène une fois que les vips auraient pris congé, après tout c'était quand même le bal des élèves...
Kichi se demandait avec un sourire cynique, s'il ne s'agissait pas là avant tout de créer une occasion bien opportune aux couples encore présents de s'éclipser vers une intimité discrète.
Son reflet lui rendait son sourire, qui s'effaça comme il se rendait compte que l'heure tournait alors qu'il était toujours en sous-vêtements.
Il enfila le pantalon du costume et mis ses chaussettes, en équilibre sur un pied il examina la plante de son autre pied entravé par ce vêtement dont il avait perdu l'habitude.
Il avait l'impression de s'être attablé à un banquet avec des moufles aux mains, sauf qu'il ne s'apprêtait pas à manger, mais à marcher...

Revenant aux habits étalés devant lui, il observa le justaucorps noir d'un oeil critique, il en apprécia le tissu sous ses doigts, puis il en arracha la manche gauche dont l'extrémité s'évasait en fanfreluches soyeuses.
Enroulant avec soin le tissus du bas de la chemise jusqu'à l'ouverture du bras gauche, il resserra ses griffes et fis passer sa main dans l'embouchure en prenant garde de ne pas abîmer les coutures.
Puis il enfila la manche droite et passa sa tête dans l'encolure.
Le col montait haut et ceignait parfaitement le cou du jeune homme.
Il fixa son jabot couleur crème par dessus et en arrangea le volume.
Ne restait que la veste posée sur sa table. Elle était d'un blanc immaculé avec une doublure de velours sombre.
Les manches s'ornait de délicats motifs d'argent finement brodés et étaient fendues à partir du coude pour découvrir les avant-bras sur le justaucorps.

Avec minutie, il défit la couture de la manche gauche qui courrait jusqu'à l'épaule, puis passa sa main griffue sans accrocher le tissu, puis enfila la manche droite.
Il créa une fine aiguille végétale minuscule au bout du fil qu'il avait décousu. Et, du doigt autant que par sa volonté, il la fit courir le long de sa manche gauche pour refaire les points de couture.
L'aiguille se replia sur elle même en bout de courses pour fixer la réparation.

Le col de sa veste était relevé pour protéger sa nuque, et les pans s'écartaient autour de son jabot, offrant ainsi un contraste saisissant en révélant la doublure ténébreuse.
Il avait boutonné les deux boutons du bas pour que le vêtement lui enserre la taille.
La veste se prolongeait à l'arrière en une queue tel un manteau, tandis qu'elle s'arrêtait au niveau de la ceinture sur l'avant, dégageant entièrement les jambes.
Kichi enfila des mocassins noirs et lustrés puis un gant sur sa main droite de la même teinte sombre et mate que l'ébène qui lui enserrait la gauche(1).

Passant la main dans ses cheveux, il invoqua des tiges de lierre effeuillées qui lui tressèrent sa natte et se coiffa les cheveux en arrière par le truchement d'épines enduites d'un fixateur végétal qu'il utilisa comme un peigne.
Il s'observa dans la glace avec un sourire satisfait. Sa main gauche se posa sur la table où elle se saisit d'un objet qui y trônait encore.
Passant sa main dans le dos, il s'approcha en souriant de son lit et susurra mielleusement le nom de la douce créature qui sommeillait sur son oreiller.

"Re-Booon~...!"

L'intéressé conserva les yeux clos, mais son oreille gauche cilla comme si une mouche s'était posée dessus.
Kichi remarqua aussi que la petite boule de fourrure se soulevait et se rabaissait avec un rythme beaucoup moins régulier.
Souriant de plus belle, il se pencha vers le chaton, qui prit soudain la fuite, mais trop tard...
Kichi l'avait attrapé par la peau du cou, il lui montra ce qu'il avait dans la main : un faux col blanc sur lequel était noué un petit noeud papillon noir; ils étaient à la taille de Rebon.
Le félin se rebiffa en feulant et en donnant de vain coup de griffes dans l'air.
Kichi posa le noeud et Rebon sur le couvre lit, il montrait le faux-col du doigt.

"Soit tu portes ça sagement toute la soirée, soit demain je t'achète ce superbe collier avec le petit grelot d'argent qu'on a vu en vitrine en ville."
"Nyo~?"

Rebon avait les oreilles rabattues en arrière et le regard implorant(2)

"Excellent choix ! En plus, tu seras trop trop mignon avec ce grelot X3"
"Miaaar~!!!"

Rebon se jeta sur le faux-col et passa sa tête à l'intérieur, puis il se lava derrière les oreilles avec la patte d'un air boudeur.

"Ooh... Vraiment ? Bon... laisse moi t'arranger ça."

Kichi ajusta le noeud de Rebon, qui sauta ensuite sur son épaule droite.
Ils sortir par la porte en emportant la canne qui reposait contre le mur.
L'objet était d'un vert profond aux reflets sombres et parfaitement lisse.
Elle s'ornait d'un pommeau d'argent ouvragé représentant une tête de dragon aux yeux clos.
Deux enluminures du même matériau s'en échappaient pour courir le long d'une partie du manche et uniformiser l'ensemble.
Avec un peu de chance, elle détournerait les regards de ses griffes.

Kichi pénétra dans la grande salle par la terrasse, les plus impatients s'amassaient déjà devant la porte et il les verrait bien assez tôt.
Son regard embrassa la salle, le sol alternant des carreaux sombres et clairs était impeccable, les lustres projetaient une clarté diffuse très agréable et l'orchestre finissait d'accorder ses instruments.
Le buffet était prêt ainsi que les boissons, et l'alcôve en retrait pour les invités de marque étroitement surveillée.
On lui fit signe qu'il pouvait ouvrir les portes.

Posant les mains sur les clenches des portes à double battants, il hésita, s'ils se ruaient sur lui, il ne pourrait peut être pas les contenir.
Il recula de quelques pas, pris un air guindé, la main gauche posée sur le pommeau de sa canne dressée le long de sa jambe.
Il tendis la main droite en l'air, s'arrêta, se ravisa et la plongea dans le revers de sa veste.
Il en sorti son masque et le coiffa, il s'agissait d'une paire d'ailes stylisée, la gauche représentant une aile de démon à la membrane partiellement déchirée, de sorte qu'elle ne lui masquait pas la vue.
La droite était une aile d'ange maculée de sang, l'épicentre de la "blessure" placé au niveau de l'oeil.
Elle le couvrait cependant et n'était là que pour symboliser l'oeil en question.

D'un claquement de doigt, il créer de solides lianes dans les embrasures de la porte, une au niveau du pêne qui le repoussa avant de se désagréger, libérant ainsi la porte comme s'il avait tourné la clenche, et une myriades d'autre au dessus des portes qui poussèrent en entraînant les portes avant de se désagréger également.
Les gonds fraîchement graissés coulissèrent sans effort sous l'impulsion et les portes s'ouvrir comme de leur propre initiative.
En professionnels accomplis, les membres de l'orchestre jouèrent les premières notes au même instant, rajoutant à la magie du moment.
Avec un sourire accueillant, Kichi s'adressa aux jeunes gens.

"Bienvenue dans la grande salle du bal, amusez-vous, que cette soirée vous laisse un impérissable souvenir !"

Comme la première vague d'élèves finissait d'investir les lieux, Kichi se détendit un peu.

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(1)Pire qu'une gonzesse pour s'habiller celui-là è_é
(2)Vous savez, celui qu'utilise le chat botté dans Shrek